dimanche 28 juillet 2013

Stream backstage, ou, Langue Story

Cette semaine j’ai regardé le podcast backstage du Stream au show bilingue animé par Mike Ward. Installé dans une loge ou plutôt un spa avec pas d’eau, Yan Thériault y est allé de prouesses  techniques impressionnantes faisant office de suivi, à celles déjà faites dans son show sur la route. Si bien que malgré la petitesse de l’endroit, les invités avaient pratiquement l’air à l’aise. Le gala était une première coproduction entre Juste pour rire et son homologue anglophone Just for laughs.

À show bilingue, podcast bilingue, l’animation a été donnée cette fois à Judes Dickey, un comique douteux et parfaitement bilingue de surcroit, le candidat parfait ! Yan Thériault faisait une foi de plus office de maitre de la technique/animateur Danyturcottish.  Le duo a fait une animation qui cadrait extrêmement bien dans le style, quelque chose de très relaxe, informel. Ils ont reçu Eric Lampaert, un humoriste globetrotter né en France mais résident maintenant à Londres. Un bilingue à l’européenne, accent français et british. Aussi, sont venu les anglophones ayant switché au français Mike Patterson, Abdul Butt et Joey Elias.  Du côté francophone, Jean-Thomas Jobin est venu s’asseoir dans le lounge de fortune du show. Il y a même eu le patron Gilbert Rozon qui a fait une brève apparition à la fin.

D’entrée de jeu, pour rendre les invités à l’aise, Judes et Yan ont fait un travail de maître. Asseoir des humoristes dans 5 pieds par 5 pieds pour leur poser des questions tout de suite avant ou après une prestation, faut le talent ! Les invités ont défilé à un roulement très bien, les conversations sur les débuts en humour, leurs débuts en humour en seconde langue étaient très intéressantes. Les animateurs ont même réussi à ploguer des running gags comme Judes qui découvre la porn de femmes enceinte et la fameuse nouvelle drogue de l’amour : le pretzel dust ! Bref, la chimie était là et Judes comme régulier sur le Stream, ça serait magique !

Cependant, plus le show avançait, plus une impression me venait à l’esprit. Je me disais : « Câlique, c’est juste les francos qui se forcent le cul à parler l’autre langue dans ce show là ! » Je me disais que sans que personne ne force personne, le tout dans la paix et le plus grand des naturels, quand on demande à des anglos et des francos de parler les deux langues, les francos le font, et les anglos : fuck all ! Je m’en allais même écrire mon article tout de suite après le show et je me suis dit : « Non Max, pas une bonne idée. Vérifie tes affaires un peu avant de dire des conneries. » Quelle belle expérience scientifique pareil ! Dans le show sur scène, on a demandé de switcher de langue durant les numéros, et sans avoir vu le show sur scène, je suis persuadé que ça a été fait à la lettre. Quand c’est préparé des mois à l’avance, je n’ai aucune difficulté à croire qu’un exercice de bilinguisme fonctionne. Mais, au naturel, quand les rideaux sont fermées, comment ça se déroule ? C’est ce que le show backstage donnait comme observation.  Suite à mon impression que je voulais vérifier, j’ai attendu que le Stream sorte en version podcast et j’ai regardé le show sous un autre angle.  J’ai regardé le show sous un angle totalement froid, les animateurs et invités si funny et intéressants deviennent à présent des sujets. Je ne regarde plus le Stream, mais Langue Story. Je suis fou de même, mais pour vérifier mon impression, il fallait que je le fasse. J’ai compté le nombre de répliques dans chaque langue de chaque personne sur le show. Les conclusions que j’en tire c’est que lorsque quelqu’un est parfaitement bilingue, c'est-à-dire également à l’aise dans les deux langues (voir ici, Judes Dickey, Mike Ward et Eric Lampaert), le bilinguisme est juste totalement naturel donc pour ce show ils ont parlé carrément 50/50.  Là où ça devient intéressant, c’est quand le sujet a une langue dans laquelle il est clairement plus à l’aise que l’autre et que le switch d’une langue à l’autre demande de sortir un peu de sa zone de confort. Chez les francrophones (voir ici, Yan Thériault et Jean-Thomas Jobin), ça a tourné autour de 2/3 français, 1/3 anglais, ce qui est somme toute bien lorsqu’on te demande de parler une langue clairement seconde.  Ai-je les mêmes résultats pour nos amis anglophones ? Mon impression me disait : « Messemble qu’ils ont dit 3 mots de français chacun, c’est n’importe quoi ! »  Ils n’ont pas dit 3 mots. En toute justice, ils ont scoré plus haut que ce que je croyais, mais … plus bas que les francos. Les anglos du show (Abdul Butt, Mike Patterson et Joey Elias) ont parlé entre 15 et 20 % de français dans leur entrevue « bilingue ».  Et tout ça s’est fait de manière naturelle, dans la paix interlinguistique, même dans une célébration du bilinguisme « so to speak ! ».  Et savez-vous quoi ? C’est normal ! Les francophones sont peut-être majoritaires au Québec, mais en Amérique du Nord, ils sont loin de l’être. D’où l’importance pour nous à la fois d’être bilingue et de protéger notre langue commune. À l’inverse, les anglos sont minoritaires au Québec, mais dans le « big picture », ils sont majoritaires. L’intérêt d’apprendre le français est donc beaucoup moins alléchant. Ce n’est pas de la volonté d’assimilation nécessairement, c’est juste des mathématiques. Dans le cas de ce stream, il ne s’agit que d’un microcosme, d’une observation sur un petit nombre de personnes.  Mais, est-ce qu’on peut avoir peur qu’avec un laisser-aller sur la protection du français, le Québec devienne un endroit où, comme dans ce show, les francos pratiquent leur anglais, et que les anglos les regardent faire ? Est-ce que le concept de langue commune est dépassé, et donne une société aussi plate que ce que Gilbert Rozon affirme à la fin du Stream ?

Linguistiquement, le Québec qui me tente ressemble étrangement à mon party de famille du côté de mon père (un autre microcosme). 100 % des gens y parlent français couramment sans nécessairement que ce soit leur première langue. Est-ce que ça fait nécessairement des anglais brimés, des gens refermés sur eux ? Jamais dans 100 ans, environ les trois quarts parlent très bien anglais et ont accès à une bonne partie du monde de cette façon.  Si j’ajoute un 15 % environ qui parlent une langue supplémentaire.  Est-ce qu’appliqué au Québec, j’ai un Québec ancré dans l’ancien temps ? Non. Est-ce que j’ai un français fort ? Absolument, dans mon party de famille, il se parle probablement entre 90 et 95 % de français. Est-ce que la connaissance de d’autres langues est une excuse pour ne pas protéger la langue commune ? Jamais ! Car le but c’est d’avoir le monde à notre portée tout en se comprenant entre nous et en gardant le français fort.